Interview d'Henry Veysseyre.


Henri Veysseyre en 1975

Si le nom et la musique d'Henri Veysseyre sont connus de tous les paroissiens d'Auteuil, plus d'un le croiserait dans l'église ou le quartier sans le reconnaître... Deux explications à cela : l'isolement géographique naturel de la tribune et la très grande discrétion de l'homme. Le Campanile est allé, sur place, à la rencontre de Monsieur Veysseyre et de "son" orgue, une superbe réalisation du grand facteur d'orgue Cavaillé-Coll.

Etes-vous un enfant de Paris et depuis quand êtes-vous titulaire de l'orgue ?

Je suis né en 1924, dans le 12e arrondissement, sur le territoire de Notre-Dame de Bercy, dont je devins l'organiste titulaire à l'âge de 13 ans. Après avoir été successivement titulaire de l'orgue de Saint-Romain à Sèvres (1940-1945), puis de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (1945-1949), je fus nommé en 1950 titulaire aux fonctions de Maître de Chapelle et organiste du Grand Orgue de Notre-Dame d'Auteuil sur concours organisé par la paroisse et la Ville de Paris.

Montriez-vous dès votre plus jeune âge une prédisposition particulière pour la musique ?

J'ai étudié le piano dès l'âge de 7 ans avec un professeur particulier ; pour me récompenser d'un premier prix de catéchisme, mon aumônier me montra un jour, de près, l'orgue de la paroisse. A la mort de l'organiste de Notre-Dame de Bercy, je proposai au Curé de tenir l'orgue. Il accepta avec réticence. Pour lui, j'étais simplement "enfant de chœur" ; mais la providence me donna de quoi le convaincre que je pouvais assurer le service...

J'ai mené parallèlement des études littéraires (licence Lettres) et des études musicales mais sans éprouver le besoin ni le désir de suivre le cursus classique du Conservatoire ; mon sens musical naturel joint aux expériences subies en effectuant des remplacements, constituait mon meilleur guide.

La maîtrise de l'orgue requiert, bien sûr, de bonnes qualités de musicien, mais aussi de très bons réflexes en raison de la multiplicité des claviers, pédaliers et manettes que l'instrumentiste doit actionner. Je pense aussi que pour être un organiste complet, il faut être croyant, sinon le message musical risque d'être partiel.

Un organiste a-t-il le temps de se consacrer à autre chose qu'à son orgue et qu'au service des offices de la paroisse ?

Dans mon cas, oui, et je l'ai sans doute un peu payé de ma santé. De 1940 à 1981, j'ai animé chorales ou chœurs, à Saint-Nicolas du Chardonnet, mais surtout à Sainte-Odile (1970 à 1981), dont certains concerts et enregistrements (7 disques) furent réalisés à Auteuil. J'ai également "donné" dans le profane en étant pianiste du cabaret "Mylord l'Arsouille", chef d'orchestre d'émissions de variétés et chef de chœurs à l'ORTF (1966-1969). Toute ma vie, j'ai composé pour orgue et pour chœurs, messes, motets, soli et plus de 450 chants religieux, en français, depuis Vatican II.

Le service de la paroisse me conduit à y être présent, principalement le dimanche et le samedi soir pour les 4 messes dominicales et en semaine, assez fréquemment pour les mariages, es enterrements et services divers. Enfin je donne des leçons à un petit nombre d'élèves.

Vous avez été victime en 1979 d'un grave infarctus : cet accident de santé a-t-il bouleversé votre vie ?

Considéré comme perdu par le corps médical, je m'en suis sorti grâce à la providence, à mon désir farouche de vivre et à l'efficacité des services de réanimation. J'ai le souvenir, dans mon coma, d'avoir entrevu cette lumière intense, dont témoignent souvent ceux qui ont frôlé la mort. Aujourd'hui, après être passé par la souffrance et l'espoir, je porte un regard neuf sur les choses, le regard de quelqu'un qui a pu reprendre la vie là où elle semblait s'être arrêtée définitivement.

Il nous semble qu'un bon nombre de chants religieux couramment utilisés en France souffrent d'une grande pauvreté mélodique. Partagez-vous cette analyse, et, dans l'affirmative, pourriez-vous nous donner les causes et les remèdes à cette situation ?

Je suis bien d'accord avec ce constat, et j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'en ouvrir auprès de personnes très concernées par la question, sans grand succès ; il semble que les responsables privilégient la facilité du chant (il faut que les gens chantent) quitte à leur offrir des mélodies de qualité navrante... Pour faire évoluer les choses, il faudrait conduire les décideurs à prendre davantage conscience de la situation, et à inviter aux commissions spécialisées des personnes reconnues pour leurs talents de compositeur. De toutes façons, il est probable que la situation ne s'améliorera que lentement, ne serait-ce que du fait de l'inertie naturelle des habitudes. Enfin et heureusement, le libre choix des chants exercé judicieusement par les animateurs de la paroisse constitue, sans doute, l'un des meilleurs remèdes au risque évoqué ci-dessus. Là, également, dévouement et bonne volonté ne suffisent pas toujours pour satisfaire les exigences demandées dans les paroisses de nos diocèses...

Le Campanile et les paroissiens d'Auteuil voudraient vous dire en cette occasion privilégiée, toute leur reconnaissance et combien ils apprécient depuis de longues aimées, la qualité de votre musique, qui, contribue largement à la haute tenue liturgique de la paroisse.

Une dernière question : quel est l'un de vos souhaits les plus chers ?

Rester au service de "mon" orgue et de la paroisse aussi longtemps que ma santé le permettra.

Propos recueillis par Ph. Thomazeau
Le Campanile (Notre-Dame d'Auteuil) n°162 Février 1995

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